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Le Journal de Kafka

~ nouvelle traduction par Laurent Margantin

Le Journal de Kafka

Archives Mensuelles: juin 2013

#journalkafka A propos de cette traduction: Quelques questions de Thomas Villatte

27 jeudi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Sur la traduction

≈ 2 Commentaires

D’abord : que pensez-vous, personnellement, de la traduction du Journal de Marthe Robert ? Avez-vous entamé la traduction du Journal afin de « contester » la traduction de Marthe Robert ? (Je suppose que non, mais on ne sait jamais ! )

Non, pas du tout, elle est très belle sur un plan littéraire et très exacte. Simplement, elle appartient à une certaine tradition de la traduction littéraire en France, où l’on veille à faire du texte étranger une oeuvre française, dans une langue classique. Or l’allemand de Kafka, dans le Journal, est très libre, il manque souvent la ponctuation, la syntaxe est souvent débridée, j’essaye de rendre cela, je conserve les répétitions de mots, tente d’écrire dans un français qui soit fidèle à l’écriture brute de Kafka qui, encore une fois, n’est pas celle des romans.

Auriez-vous traduit le Journal de la même manière si cela avait été une commande pour en faire un livre, papier ou numérique ?

Oui, de la même manière. Mais je ne suis qu’au début, et je fais une pause estivale… Et je ne m’occupe pas d’édition en l’occurrence. Kafka y songeait-il en écrivant son Journal ? Internet nous permet d’échapper à ces préoccupations éditoriales (enfin, dans le meilleur des cas).

On dit que Max Brod a donné des titres à des fragments qui n’en avaient pas, à des fins éditoriales. A t-il réellement inventé des titres, ou bien a-t-il simplement repris le même procédé que vous pour Chacun porte une chambre en soi : la première phrase des textes, ou le premier syntagme, considérés comme titre faute de mieux ? Et pourquoi, si il n’y avait pas de titres à l’origine, en avoir créé ? Ne vous était-il pas possible, à propos de Chacun porte une chambre, de ne pas en mettre, simplement ? Je vous avoue que ce processus m’intéresse : pourquoi donne-t-on un titre à ces fragments qui, il me semble, n’en ont pas à l’origine ?

A vrai dire je n’ai pas conçu cela comme des titres, j’ai juste repris le début de chaque première phrase du texte pour montrer qu’il s’agit bien de fragments prélevés à des cahiers. J’aurais pu en effet laisser sans titre, mais il fallait quand même pouvoir se repérer dans le volume. Solution de facilité en quelque sorte. Brod voulait construire une oeuvre, il fallait donc qu’il aligne un ensemble de textes conçus non comme des fragments mais comme des petites proses à la manière de Walser. Comme les traducteurs français il a donc complété la ponctuation quand elle manquait, il a fait de chaque texte une petite oeuvre close, qui est un artifice en vérité. Mais combien d’entreprises éditoriales sont basées sur de tels artifices, au nom d’une certaine clôture et du texte et de l’oeuvre ?

Enfin, question purement factuelle : qui est le premier traducteur de Kafka en France ? Vialatte ou Klossowski ? J’ai souvent lu que c’était Vialatte, mais dans la préface à Chacun porte une chambre en soi, François Bon note qu’il s’agit de Pierre Klossowski en 35 qui aurait traduit Kafka le premier. Après avoir parcouru Mon Kafka de Vialatte, je suppose qu’il s’agit bien de Vialatte qui a traduit et importé Kafka en France le premier, mais dans le doute… Et pourriez-vous, alors, m’expliciter un peu le rôle de Klossowski dans cette histoire (embrouillée) ? Sans connexion stable et sans bibliothèque digne de ce nom à proximité, je sèche un petit peu !

Je dirais que Vialatte est le premier traducteur, notamment des romans, viennent ensuite les traductions du Journal, mais il faudrait vérifier les dates. Hélas, j’en sais encore moi-même très peu sur le travail de Klossowski !

Thomas Villatte est un jeune chercheur qui travaille actuellement sur la présence de Kafka sur le web.

#journalkafka, premier cahier, 62

21 vendredi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier, Uncategorized

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Café Savoy, communauté juive, Shnorrer

Hier soir Café Savoy. Troupe juive – Madame Klug « Imitatrice d’homme ». En caftan courts pantalons noirs, bas blancs, de son gilet noir sort une chemise blanche en fine laine qui, sur le devant, est fermée au cou par un bouton de fil et rabattue en un col large et lâche se terminant par de longues pointes. Sur la tête, enserrant sa chevelure féminine, mais nécessaire aussi pour d’autres raisons, une petite calotte sombre sans bord, que porte aussi son mari, par-dessus un grand chapeau mou et noir, au bord plié vers le haut. A vrai dire je ne sais pas quelles personnes ils représentent, elle et son mari. Si je devais l’expliquer à quelqu’un sans avouer mon ignorance, je verrais que je les tiens pour des appariteurs, pour des employés du temple, des fainéants notoires dont la communauté s’est accommodée, des Shnorrer jouissant d’un traitement de faveur pour des raisons religieuses, des gens qui, justement parce qu’ils ont une situation à part, sont très près du centre de la vie en communauté, des gens qui, suite à leur vie vagabonde, inutile et aux aguets, connaissent beaucoup de chansons et percent à jour la situation de tous les membres de la communauté, mais qui, en raison de leur absence de rapports avec la vie professionnelle, ne savent pas quoi faire de leurs connaissances, des gens qui sont Juifs sous une forme particulièrement pure parce qu’ils ne vivent que dans la religion, mais sans effort, sans compréhension ni désespoir. Ils paraissent se payer la tête de tout le monde, rient aussitôt qu’un Juif noble a été assassiné, ils se vendent à un renégat, dansent de ravissement les mains à leurs papillotes quand le meurtrier démasqué s’empoisonne et invoque Dieu, mais tout cela seulement parce qu’ils sont aussi légers que des plumes, parce qu’ils sont couchés sur le sol à la moindre pression sont sensibles, et pleurent tout de suite le visage sec (ils s’éplorent en grimaces), mais dès que la pression est passée ils ne produisent plus le moindre poids propre et sautent aussitôt dans les airs. Ils devraient donc causer beaucoup de soucis à une pièce aussi sérieuse que le Meschumed de Lateiner, car ils sont constamment sur le devant de la scène de toute leur taille et souvent sur la pointe des pieds ou bien les deux jambes en l’air, et ils ne font pas disparaître l’agitation qui règne dans la pièce, mais ils la coupent en morceaux. Et pourtant le sérieux de la pièce se déroule dans des paroles si closes, si pesées même dans de possibles improvisations, si tendues par un sentiment homogène, que, même quand l’action évolue uniquement à l’arrière-plan de la scène, elle conserve toujours son importance. Ce sont plutôt les deux en caftan qui sont de temps à autre étouffés, ce qui correspond à leur nature, et malgré leur bras écartés et leurs doigts qui claquent on ne voit que le meurtrier derrière qui, une fois pris le poison, chancelle vers la porte la main à son col à vrai dire trop large. – Les mélodies sont longues, le corps se confie volontiers à elles. En raison de leur longueur qui se déroule sur une ligne droite, c’est en balançant les hanches, en écartant les bras, en les levant et en les baissant dans une respiration tranquille, en rapprochant des tempes la paume des mains en évitant soigneusement tout contact qu’on peut le mieux la représenter. Quelque chose rappelle le Slapak – Au cours de certaines chansons, quand on prononça « jüdische Kinderloch », à certains regards de cette femme qui, sur la scène, parce qu’elle est Juive et nous spectateurs parce que nous sommes Juifs nous attire vers elle, sans désir ni curiosité pour les Chrétiens, un frisson a parcouru mes joues. Le représentant du gouvernement, qui est peut-être le seul Chrétien dans la salle à part le serveur et deux bonnes à gauche de la scène est un homme piteux affecté d’un tic au visage qui touche surtout le côté gauche mais traverse aussi fortement le côté droit, tend et détend le visage avec une vitesse presque pleine d’égards je veux dire rapidité de l’aiguille des secondes mais aussi sa régularité. Quand il atteint l’œil gauche, il l’efface presque complètement. Pour cette contraction de petits muscles neufs et frais se sont formés dans ce visage sinon complètement délabré. – La mélodie talmudique de questions, de conjurations et d’explications précises : dans un tuyau passe de l’air et emporte le tuyau, en retour une grande vis fière dans l’ensemble humble dans ses spirales venue de lointains et minuscules commencements tourne en s’avançant vers celui qui est interrogé.

Note du traducteur: Le Shnorrer est un « mendiant professionnel » en yiddish, et a un rôle central dans les communautés juives d’Europe de l’est, merci à Michèle Kahn, auteur du Shnorrer de la rue des rosiers, d’avoir généreusement répondu à mes questions à ce sujet (j’espère pouvoir revenir sur plusieurs thèmes et figures du Journal de Kafka dans une rubrique à venir de ce blog).

#journalkafka, premier cahier, 61

13 jeudi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier

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écrire, colère, tête

5 octobre 1911           Pour la première fois depuis plusieurs jours de nouveau anxieux même avant de me mettre à écrire ceci. Colère contre ma sœur qui vient dans la chambre et qui s’assoit à la table avec un livre ; attente de la prochaine petite occasion où je pourrai libérer cette colère. Enfin elle prend une carte de visite dans la boîte et se cure les dents avec en circulant dans la chambre. Avec la colère qui s’atténue et dont il ne reste qu’une forte pression dans la tête, et le soulagement naissant et la confiance, je commence à écrire.

#journalkafka, premier cahier, 60

12 mercredi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier

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électricité, canapé, chambre, cuisine, lit, lumière, mappemonde, mur, plafond, tramway, vestibule

Vers le soir dans l’obscurité de ma chambre sur le canapé. Pourquoi a-t-on besoin de plus de temps pour reconnaître une couleur mais pourquoi devient-on alors toujours plus convaincu par la nature de la couleur après que l’esprit a réalisé un tournant décisif. Si du dehors la lumière du vestibule et celle de la cuisine agissent en même temps sur la porte vitrée, une lumière verdâtre, ou plutôt pour ne pas déprécier la certitude de l’impression, une lumière verte coule presque jusqu’en bas des vitres. Qu’on éteigne la lumière dans le vestibule et qu’il ne reste que la lumière de la cuisine, alors la vitre la plus proche de la cuisine devient bleue foncée, l’autre bleue blanchâtre si blanchâtre que tout le dessin sur le verre dépoli (têtes de pavot stylisées, vrilles, plusieurs carrés et feuilles) se dissout. – Les lumières et ombres projetées sur les murs et au plafond par la lumière électrique dans la rue et sur le pont sont désordonnées en partie défaites se recouvrant les unes les autres et difficile à examiner. C’est que, lors de l’installation des lampes à arc électrique en bas et de l’aménagement de cette chambre, on n’a pas pris le point de vue d’une maîtresse de maison sur l’apparence de ma chambre à cette heure-ci vue de mon canapé sans éclairage dans la chambre. – La lueur jetée au plafond par le tramway qui passe en bas glisse blanchâtre, voilée et par à-coups mécaniques le long du mur et sur le plafond, brisé dans l’angle. La mappemonde est dans le premier reflet, frais et plein des lumières de la rue sur l’armoire à linge, dont le haut baigne dans une lumière pure et verdâtre, a un point brillant sur sa courbure et on dirait que le reflet est trop fort pour elle, même si la lumière passe sur sa surface lisse et lui laisse une couleur plutôt brunâtre, semblable à celle d’une reinette. – La lumière du vestibule produit sur le mur au-dessus du lit une large surface brillante qui, limitée par une ligne courbe à partir de sa tête, affaisse le lit au regard, en élargit les sombres colonnes, élève le plafond au-dessus du lit

#journalkafka, premier cahier, 59

09 dimanche Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier

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bureau, chef, Dickens, sommeil

Octobre 1911             Je suis nerveux et vénéneux. Hier avant de m’endormir j’avais en haut à gauche dans ma tête une petite flamme froide et vacillante. Au-dessus de mon œil gauche une tension s’est déjà installée. Si j’y pense il me semble que je ne serais même plus capable de supporter le bureau si on me disait que je serai libre dans un mois. Et pourtant au bureau je fais en général ce que je dois faire, suis très calme quand je peux être sûr que mon chef est satisfait et ne ressens pas ma condition comme terrible. Hier soir d’ailleurs je me suis mis exprès dans un état apathique, me suis promené, ai lu Dickens, étais ensuite un peu mieux et avais perdu la force de ressentir la tristesse que je considérais comme justifiée, quoiqu’elle m’a semblé avoir un peu reculé, ce qui m’a fait espérer un meilleur sommeil. Il a été un peu plus profond, mais pas assez et souvent interrompu. Pour me consoler je me suis dit que j’avais certes réprimé une nouvelle fois le grand mouvement qui était en moi, mais que je ne voulais pas me laisser aller comme autrefois après de telles périodes, que je voulais aussi rester conscient des suites douloureuses de ce mouvement, ce que je n’avais jamais fait autrefois. Peut-être pourrais-je ainsi trouver une fermeté cachée en moi-même.

#journalkafka, premier cahier, 58

08 samedi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier

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écrire, bureau, chair, viande

Dicte au bureau une circulaire importante qui s’adresse à l’administration de la police du district. Arrivé à la conclusion, qui doit prendre un peu d’ampleur, je reste bloqué et sans pouvoir faire autre chose que de regarder la dactylo, mademoiselle Kaiser qui, comme à son habitude, devient particulièrement agitée, bouge sa chaise tousse, pianote sur la table, et ainsi attire l’attention de tout le bureau sur mon malheur. L’idée que je cherche acquiert désormais une valeur supplémentaire, celle de la calmer, et plus elle devient précieuse plus elle est difficile à trouver. Enfin j’ai le mot « stigmatiser » et la phrase qui va avec, mais je garde tout dans ma bouche avec une sensation de dégoût et de honte comme si c’était de la viande crue coupée de ma propre chair (cela m’a coûté autant d’effort). Je prononce enfin la phrase, mais je reste avec la grande terreur que tout en moi est prêt pour un travail poétique et qu’un tel travail serait pour moi une solution divine et une véritable manière de devenir vivant, alors qu’ici au bureau je dois à cause d’un document lamentable voler un morceau de sa chair à un corps capable d’un tel bonheur.

#journalkafka, premier cahier, 57

07 vendredi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier

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Paris, voiture

Sur la Josefplatz, une grande voiture de voyage avec à l’intérieur une famille dont les membres étaient serrés les uns contre les autres est passée devant moi. Derrière la voiture c’est une odeur d’essence en même temps qu’un peu d’air de Paris que j’ai senti sur le visage.

#journalkafka, premier cahier, 56

07 vendredi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier

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dormir, facultés créatrices, insomnie, nez, rêves

3 octobre 1911           La même nuit, sauf que j’ai eu encore plus de mal pour m’endormir. Alors que je m’endormais une douleur avançant à la verticale dans ma tête au-dessus de la racine du nez, comme si elle était causée par un pli de mon front trop fortement comprimé. Afin d’être le plus lourd possible, ce que je crois bon pour s’endormir, j’avais croisé les bras et posé les mains sur les épaules, si bien que j’étais allongé là comme un soldat tout équipé. De nouveau c’est la puissance de mes rêves, rayonnant déjà dans l’état de veille avant le sommeil, qui m’a empêché de dormir. Le soir et le matin la conscience de mes facultés créatrices est infinie. Je me sens relâché jusqu’au fond de mon être et je peux lever ce que je veux hors de moi. Cette façon d’attirer hors de moi de telles forces qu’on laisse ensuite improductives me rappelle ma liaison avec B. Ici aussi ce sont des épanchements qui ne sont pas libérés mais qui doivent s’anéantir eux-mêmes dans le choc vers l’arrière, sauf qu’ici – c’est la différence – il s’agit de forces plus mystérieuses et de ce que je vise par-dessus tout.

#journalkafka, premier cahier, 55

06 jeudi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier

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chef, lorgnon, lunettes, mère, rêves

Aujourd’hui j’étais si faible que j’ai même raconté à mon chef l’histoire de l’enfant. – Alors je me suis souvenu que les lunettes dans le rêve venaient de ma mère qui, le soir, est assise à côté de moi et qui, pendant qu’elle joue aux cartes, me regarde de dessous son lorgnon d’une manière pas très agréable. Son lorgnon a même, ce que je ne me souviens pas avoir remarqué auparavant, le verre droit plus près de l’œil que le gauche.

#journalkafka, premier cahier, 54

05 mercredi Juin 2013

Posted by Laurent Margantin in Premier cahier

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écrire, dormir, insomnie, lunettes, rêves

2 octobre 1911           Nuit d’insomnie. Déjà la troisième d’affilée. Je m’endors bien, mais je me réveille une heure plus tard comme si j’avais posé la tête dans un mauvais trou. Je suis complètement réveillé, ai le sentiment de n’avoir pas du tout dormi ou bien seulement sous une fine peau, je suis forcé de travailler de nouveau à m’endormir et me sens rejeté par le sommeil. Et à partir de ce moment ça reste comme ça toute la nuit jusque vers 5 heures du matin, je dors certes mais en même temps des rêves violents me tiennent éveillé. Je dors littéralement à côté de moi, tandis que je dois me battre avec des rêves. Vers 5 heures la dernière trace de sommeil est consommée, je rêve juste, ce qui est plus épuisant que d’être éveillé. Bref, je passe toute la nuit dans l’état où se trouve un homme sain pendant un petit moment avant de s’endormir tout à fait. Quand je me réveille tous les rêves sont rassemblés autour de moi, mais je me garde bien de les examiner en profondeur. Vers le matin je gémis contre le matelas parce qu’il n’y a plus d’espoir pour cette nuit. Je pense à ces nuits au bout desquelles j’étais tiré du sommeil profond et me réveillais comme si j’avais été enfermé dans une noix. Une terrible apparition cette nuit c’était un enfant aveugle apparemment la fille de ma tante de Leimeritz qui d’ailleurs n’a pas de fille mais seulement des fils, dont l’un s’est un jour fracturé le pied. En revanche, il y avait un rapport entre cet enfant et la fille du docteur Marschner qui, comme je l’ai vu dernièrement, joli enfant qu’elle était, est en train de devenir petite fille grosse toute raide dans ses vêtements. Cette fille aveugle ou bien à la vue faible avait les deux yeux couverts de lunettes, l’œil gauche  sous le verre assez éloigné était gris laiteux et sa surface ronde ressortait, l’autre était en retrait et était recouvert par un verre adhérent. Afin que ce verre fût placé convenablement sur le plan optique, il était nécessaire d’utiliser un levier à la place de la branche habituelle passée sur l’oreille, levier dont la tête ne pouvait être fixée autrement que sur la pommette, de sorte qu’une petite tige qui descendait du verre jusqu’à la joue, disparaissait dans la chair trouée et se terminait à l’os, tandis qu’une autre tige métallique ressortait et passait au-dessus de l’oreille. – Je crois que cette insomnie est causée uniquement par le fait que j’écris. Car aussi peu et aussi mal que j’écrive, je deviens quand même plus susceptible à travers ces petits ébranlements, je sens surtout vers le soir et encore plus le matin le souffle, la possibilité proche de grands états qui me déchirent et qui pourraient me rendre capable de tout, et ensuite, dans le bruit général qui est en moi et que je n’ai pas le temps de commander, je ne trouve pas le repos. Finalement, ce bruit n’est qu’une harmonie réprimée, contenue, qui laissée libre me remplirait totalement, et même m’étendrait au loin et puis continuerait à me remplir. Mais actuellement cet état, à côté de faibles espoirs qu’il fait naître, ne provoque que des dégâts, car je ne dispose pas en moi d’une intelligence suffisante pour supporter le mélange actuel, dans la journée le monde visible m’aide, la nuit cela me déchire sans être empêché. Cela me fait toujours penser à Paris quand au temps du siège et de la Commune la population des faubourgs du nord et de l’est jusqu’alors étrangère au Parisien avançait pendant plusieurs mois littéralement heure après heure à travers les rues qui menaient au centre à un rythme saccadé comme l’aiguille d’une montre jusqu’à l’intérieur de Paris.

Ma consolation – et c’est avec elle que je vais me coucher maintenant – c’est que je n’ai pas écrit pendant si longtemps et que donc cette activité d’écriture n’a pas encore trouvé sa place dans ma situation actuelle, mais qu’avec un peu de virilité cela doit être possible, au moins provisoirement.

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