D’abord : que pensez-vous, personnellement, de la traduction du Journal de Marthe Robert ? Avez-vous entamé la traduction du Journal afin de « contester » la traduction de Marthe Robert ? (Je suppose que non, mais on ne sait jamais ! )

Non, pas du tout, elle est très belle sur un plan littéraire et très exacte. Simplement, elle appartient à une certaine tradition de la traduction littéraire en France, où l’on veille à faire du texte étranger une oeuvre française, dans une langue classique. Or l’allemand de Kafka, dans le Journal, est très libre, il manque souvent la ponctuation, la syntaxe est souvent débridée, j’essaye de rendre cela, je conserve les répétitions de mots, tente d’écrire dans un français qui soit fidèle à l’écriture brute de Kafka qui, encore une fois, n’est pas celle des romans.

Auriez-vous traduit le Journal de la même manière si cela avait été une commande pour en faire un livre, papier ou numérique ?

Oui, de la même manière. Mais je ne suis qu’au début, et je fais une pause estivale… Et je ne m’occupe pas d’édition en l’occurrence. Kafka y songeait-il en écrivant son Journal ? Internet nous permet d’échapper à ces préoccupations éditoriales (enfin, dans le meilleur des cas).

On dit que Max Brod a donné des titres à des fragments qui n’en avaient pas, à des fins éditoriales. A t-il réellement inventé des titres, ou bien a-t-il simplement repris le même procédé que vous pour Chacun porte une chambre en soi : la première phrase des textes, ou le premier syntagme, considérés comme titre faute de mieux ? Et pourquoi, si il n’y avait pas de titres à l’origine, en avoir créé ? Ne vous était-il pas possible, à propos de Chacun porte une chambre, de ne pas en mettre, simplement ? Je vous avoue que ce processus m’intéresse : pourquoi donne-t-on un titre à ces fragments qui, il me semble, n’en ont pas à l’origine ?

A vrai dire je n’ai pas conçu cela comme des titres, j’ai juste repris le début de chaque première phrase du texte pour montrer qu’il s’agit bien de fragments prélevés à des cahiers. J’aurais pu en effet laisser sans titre, mais il fallait quand même pouvoir se repérer dans le volume. Solution de facilité en quelque sorte. Brod voulait construire une oeuvre, il fallait donc qu’il aligne un ensemble de textes conçus non comme des fragments mais comme des petites proses à la manière de Walser. Comme les traducteurs français il a donc complété la ponctuation quand elle manquait, il a fait de chaque texte une petite oeuvre close, qui est un artifice en vérité. Mais combien d’entreprises éditoriales sont basées sur de tels artifices, au nom d’une certaine clôture et du texte et de l’oeuvre ?

Enfin, question purement factuelle : qui est le premier traducteur de Kafka en France ? Vialatte ou Klossowski ? J’ai souvent lu que c’était Vialatte, mais dans la préface à Chacun porte une chambre en soi, François Bon note qu’il s’agit de Pierre Klossowski en 35 qui aurait traduit Kafka le premier. Après avoir parcouru Mon Kafka de Vialatte, je suppose qu’il s’agit bien de Vialatte qui a traduit et importé Kafka en France le premier, mais dans le doute… Et pourriez-vous, alors, m’expliciter un peu le rôle de Klossowski dans cette histoire (embrouillée) ? Sans connexion stable et sans bibliothèque digne de ce nom à proximité, je sèche un petit peu !

Je dirais que Vialatte est le premier traducteur, notamment des romans, viennent ensuite les traductions du Journal, mais il faudrait vérifier les dates. Hélas, j’en sais encore moi-même très peu sur le travail de Klossowski !

Thomas Villatte est un jeune chercheur qui travaille actuellement sur la présence de Kafka sur le web.